Très présentes dans l'informatique dans les années 50, les femmes sont aujourd'hui minoritaires dans le monde du numérique. L'entrepreneuse Marion Carré analyse ce phénomène dans un livre-enquête, "Qui a voulu effacer Alice Recoque ?" (Fayard).
Monde Numérique:
[0:09] Bonjour Marion Carré. Co-fondatrice de la société Ask Mona et autrice du livre qui a voulu effacer Alice Rocaque aux éditions Fayard. Alice Recoque, c'est une grande informaticienne qui a eu une place visiblement très importante dans l'histoire, mais en réalité, personne ne le savait, si ce n'est jusqu'à aujourd'hui. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu cette Alice Recoque ? Qui est-elle ?
Marion Carré:
[0:37] Qui est-elle ? Alice Recoque est effectivement une femme qui a eu un parcours passionnant puisqu'elle commence dans l'informatique à l'heure où le mot ordinateur n'existe pas encore. Donc, des années 50, elle commence à construire des ordinateurs. Elle travaille notamment sur le premier ordinateur opérationnel français. Et ensuite, petit à petit, elle développe une expertise sur la mémoire des ordinateurs, qui est un aspect très intéressant parce que c'est ce qui permet la miniaturisation progressive des ordinateurs jusqu'à arriver à des choses qu'on peut avoir aujourd'hui dans notre poche. Alors qu'à son époque, c'était, il faut imaginer, des immenses machines qui prenaient des pièces entières. Oui, c'était l'Eniac, le Marc. C'est ça, ça c'était sur les tout premiers. Donc on était sur des choses très volumineuses qui nécessitaient même une réfrigération. Enfin, c'était vraiment des proportions qu'on n'imagine pas aujourd'hui. Un des ordinateurs sur lesquels elle travaillait, qu'on considérait comme étant un mini-ordinateur, pesait 600 kilos. Donc, on n'était vraiment pas du tout sur le même...
Monde Numérique:
[1:35] Le disque dur faisait la taille d'un piano et il devait être l'équivalent d'un millième de ce qu'on a aujourd'hui dans nos smartphones.
Marion Carré:
[1:43] En termes de puissance, effectivement, c'est ça qui est assez fascinant. Donc, elle, elle débute là-dessus. Elle s'illustre avec un ordinateur qui est le Mitra 15 et qui est passionnant parce qu'on voit comment est-ce que ces technologies accompagnent les transformations de la société de l'époque. Donc cette fois-ci, on est dans les années 70, avec plein d'industries progressivement qui s'automatisent et son ordinateur est aussi utilisé pour des grandes conquêtes scientifiques comme par exemple le lancement de la fusée Ariane 1. Et ensuite, dans les années 80, sa carrière avance et elle décide de partir à la conquête d'un nouveau challenge qui est celui de l'intelligence artificielle, qui connaît un regard d'intérêt à cette période-là. Donc, elle se mobilise là-dessus. Ce qui est fascinant, c'est qu'elle est à la fois,
Marion Carré:
[2:26] présente aux premières heures de l'informatique, mais surtout qu'elle est tout à fait visionnaire. C'est-à-dire qu'elle anticipe l'avènement de l'ordinateur personnel tel qu'on connaît aujourd'hui, l'impact de l'intelligence artificielle, on pourra rentrer dans le détail, mais elle se projette vraiment sur le monde numérique tel qu'on le connaît aujourd'hui au XXIe siècle en étant une personnalité enracinée dans le XXe siècle.
Monde Numérique:
[2:48] Mais alors pourquoi est-ce que personne ne connaît Alice Recoque ?
Marion Carré:
[2:52] Alors ça, c'est effectivement ce qu'il y a. En fait, quand j'ai découvert Alice Recoque, je suis tombée sur une page Wikipédia qui a failli être supprimée. Et j'ai été très frappée de voir son parcours très impressionnant, que je viens juste de résumer très brièvement. Et le fait qu'on avait cherché à supprimer sa page Wikipédia et le fait que très peu de gens la connaissent aujourd'hui. Donc, en fait, dans cette histoire qui est vraiment racontée comme une enquête, la vie d'Alice Recoque me permet aussi de questionner cette invisibilisation des femmes scientifiques et les causes qui font le manque de femmes dans la tech aujourd'hui, à chaque étape du parcours.
Marion Carré:
[3:28] Et ça montre vraiment un enjeu systémique. Et on pourra aussi rentrer dans le détail ensuite. Donc, ce livre et le parcours d'Alice Recoque me permet de raconter aussi une histoire plus universelle sur cette problématique-là.
Monde Numérique:
[3:40] Oui, de cette un peu invisibilisation des femmes, alors que les femmes étaient extrêmement importantes dans les premières années de l'informatique. Et il y a des noms qui commencent malgré tout à émerger, à devenir célèbres. Alors, on a Ada Lovelace, qui était, qu'on présente comme la mère des algorithmes, quasiment, qui était la fille unique du poète Lord Byron, qui ne voulait pas d'ailleurs du tout que sa fille, je crois, fasse de l'informatique. Mais heureusement, elle a été soutenue par sa mère.
Marion Carré:
[4:11] C'est ça.
Monde Numérique:
[4:11] Et puis, il y a d'autres noms. Il y a la militaire Grace Hopper, à laquelle on attache aussi la naissance du mot bug. Mais elle a fait plein d'autres choses super intéressantes. Il y a Eddie Lamar également.
Marion Carré:
[4:26] La fille soliboudienne qui est aussi à l'origine du Wi-Fi. Il y a plein d'exemples comme ça. Et en fait, moi, je les connaissais, mais je me suis demandé au bout d'un moment, Est-ce qu'il y a aussi eu des Françaises parmi ces pionnières de l'informatique ?
Monde Numérique:
[4:39] Parce que les noms que je viens de citer, effectivement, sont surtout des Américaines.
Marion Carré:
[4:42] C'est ça, effectivement, des femmes qui ont vraiment une carrière plutôt de l'autre côté de l'Atlantique. Donc, c'est vrai que moi, je me posais cette question des pionnières françaises en me disant soit il n'y en a jamais eu, soit on les a complètement oubliées. Et c'est effectivement ce qui s'est passé. Et en fait, pour moi, c'était important de réhabiliter une pionnière française parce qu'il y a cet enjeu des modèles et des rôles modèles. Et ont cité ces femmes, mais qui sont assez distantes, déjà géographiquement, ensuite par, des fois, des éléments liés à leur biographie, Adèle Lovelace qui était une comtesse, Edith Lamarck qui était une actrice, et donc qui rend plus difficile aussi l'identification. Et du coup, en mettant en avant cette figure d'Alice Recoque, je voulais aussi que ce soit une figure à laquelle des jeunes femmes, jeunes filles, des femmes ou, Toute personne puisse plus facilement s'identifier à travers son parcours qui est brillant, mais qui est aussi une figure plus accessible.
Marion Carré:
[5:33] Donc, c'est pour ça que ça me semblait important.
Monde Numérique:
[5:35] Vous racontez dans votre livre que, notamment, les contributeurs de Wikipédia se sont posé des questions sur ses diplômes. Oui, mais est-ce que vraiment, elle a les diplômes qu'on lui attribue, etc. C'est une mise en cause qui est étonnante.
Marion Carré:
[5:49] Alors, effectivement, pendant tout ce débat sur l'admissibilité de sa place qui a eu lieu à posteriori, Il y avait un certain nombre d'arguments. Il y avait plusieurs sujets. Il y avait déjà le sujet des sources en disant, mais en fait, on a trop peu de sources sur elles.
Monde Numérique:
[6:03] En même temps, ça peut s'expliquer parce qu'on n'a pas assez d'informations sur elles. Exactement.
Marion Carré:
[6:06] Et ça, ce qui est intéressant et ce que je démontre et je cherche à expliquer dans le livre, c'est que ça montre en fait cet effet systémique qui fait qu'arrivé au stade de la postérité, on a trop peu de sources sur ces femmes scientifiques, mais parce qu'elles sont peu présentes, elles sont peu rayées dans les médias. C'est 1 à 2 % du temps d'audience. donc il y a très peu de femmes qui sont invitées en qualité de scientifique dans les médias.
Monde Numérique:
[6:28] Vous voulez dire encore aujourd'hui ?
Marion Carré:
[6:29] Effectivement, ça c'est des statistiques très actuelles et du coup on a donc moins de sources secondaires sur elles, ce qui veut dire qu'au stade de la postérité et notamment de biographie Wikipédia c'est beaucoup plus compliqué et ça explique notamment qu'en 2022 il y a seulement 19% de biographies de femmes sur Wikipédia, toute catégorie profondue, pas seulement les scientifiques donc il y a cette problématique des sources et après dans les commentaires sur l'admissibilité il y a aussi selon moi un sujet de double le standard, c'est-à-dire qu'on va pointer la concernant des choses dont les contributeurs eux-mêmes et les personnes qui commentent et qui réagissent, mettent en lumière le fait que pour des hommes, en fait, ces sujets ne sont pas forcément soulevés. On ne va pas demander à vérifier est-ce qu'ils ont vraiment eu ce diplôme. Et il y avait aussi des arguments qui étaient assez hurissants en disant mais en fait, elle n'a fait que son travail. Donc, pourquoi elle aurait une page Wikipédia ? Elle était payée pour faire ce qu'elle a fait.
Monde Numérique:
[7:19] Ok, mais dans ces cas-là, on supprime un.
Marion Carré:
[7:20] Bon nombre de biographies Wikipédia si si ça, c'est un argument qui justifie la suppression.
Monde Numérique:
[7:27] Mais alors, il y a un double phénomène. C'est la place des femmes dans la tech encore aujourd'hui. Mais à l'époque, pourquoi est-ce que, finalement, pourquoi est-ce que les femmes étaient aussi présentes dans l'informatique au début, dans les années 40, 50 ? Ça s'explique comment ?
Marion Carré:
[7:42] Moi, je trouve cet exemple et le parcours et la période que traverse Alice Recoque très intéressante pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui. Parce que les deux résonnent vraiment. Exactement. Et on a donc cette époque du début de l'informatique, et même juste avant, on avait des femmes calculatrices. Les computers, c'était des femmes avant d'être des machines.
Monde Numérique:
[8:01] Oui, j'ai vu, même on les surnommait les kilo-girls.
Marion Carré:
[8:04] C'est ça. Pour évaluer la puissance des machines, comme on parle en chevaux pour les voitures, on parlait en kilo-girls. Kilo-girls.
Monde Numérique:
[8:10] Un kilo-girls, c'est 1000 heures de calcul.
Marion Carré:
[8:13] C'est ça. C'est assez révélateur de cette forte présence de femmes au tout début.
Marion Carré:
[8:19] Donc, avant les débuts de l'informatique, ensuite aux premières heures de l'informatique.
Monde Numérique:
[8:23] Mais parce que, pardon, parce qu'elles étaient attirées par ça, professionnellement, intellectuellement, ou c'était le contexte de la guerre où il n'y avait pas d'hommes ?
Marion Carré:
[8:31] C'est même plus intéressant que ça, c'est qu'en fait, les femmes étaient payées moitié moins que les hommes. Donc, il y avait des employeurs qui avaient compris que c'était une manne très
Marion Carré:
[8:39] intéressante de cerveau moins cher. Et ensuite c'était certaines travaillaient chez elles donc on percevait ça comme un emploi plutôt adapté pour des femmes au foyer on va dire qui pouvaient quand même être chez elles mais en même temps mener ces travaux là donc il y avait ce contexte expliqué, cette force présence de femmes et en fait elle commence à fortement diminuer en termes de proportion au moment où on fait de l'informatique un secteur plus noble donc on commence à parler de génie logiciel la science de l'informatique qui fait du coup appel à des ingénieurs Donc là, on redore complètement le blason de cette discipline parce qu'on avait besoin de la professionnaliser. Et donc, c'est à ce moment-là que la proportion de femmes décline et on voit une forte arrivée des hommes. Et donc ça, je trouve ça assez intéressant parce que souvent, on se dit, ah, mais en fait, le problème des femmes dans la tech, ça va se résoudre avec le temps. Et on pense que c'est forcément le temps qui va améliorer la situation, alors qu'on voit en prenant plus de recul que le temps n'a pas forcément joué en la faveur de ce phénomène.
Monde Numérique:
[9:37] Ah oui, c'est incroyable. Et donc après, oui, effectivement, les femmes, il y avait peut-être des kilo-girls qui faisaient ça comme ça pour arrondir leur fin de mois. Et puis, il y en a qui sont sorties du lot, qui ont fait des choses, des grandes choses, les grands noms qu'on citait tout à l'heure. Mais c'est un peu toujours la même histoire.
Monde Numérique:
[9:57] On a mis des hommes devant et elles ont un peu disparu du paysage.
Marion Carré:
[10:01] C'est ça, il y a aussi ce que je trouve fascinant, c'est cette histoire des Zéniaxix. Qui étaient les femmes qui travaillaient sur l'ENIAC. Et donc, il y a une des histoires, je ne vais pas trop spoiler le livre non plus, mais d'une informaticienne américaine qui, en fait, les avait redécouvertes à posteriori parce qu'elle était tombée sur une photo de ces femmes qui posaient devant l'ordinateur. Et donc, elle avait commencé à demander autour d'elle, et notamment à des historiens, mais qui sont ces femmes, en fait ? Est-ce que c'est ces femmes qui ont développé cet ordinateur ? On disait, mais non, non, c'était juste des mannequins qu'on a mis devant pour poser devant la machine. Et en fait, elle avait fini par redécouvrir ces femmes qui, du coup, elles aussi, ont mis un temps à passer à la postérité, même si on les connaît aujourd'hui. Donc, c'est vrai que c'est un phénomène assez général où, en fait, il y a eu effectivement des femmes aux premières heures de l'informatique.
Marion Carré:
[10:46] Mais le passage à la postérité a aussi été plus compliqué.
Monde Numérique:
[10:49] D'accord. Et alors ensuite, dans votre livre, vous faites un peu cette enquête, notamment autour de Wikipédia. Pourquoi est-ce qu'on a essayé un peu de la faire disparaître ?
Marion Carré:
[11:02] Alice Recoque ? Oui. Alors, je ne sais pas si c'est quelque chose de... Pareil, c'est aussi un peu le plot du livre, « Ce qui a voulu effacer Alice
Marion Carré:
[11:09] Recoque ». Oui, c'est le titre. Il faut le lire pour se faire une idée plus approfondie, mais ce que je cherche à montrer, c'est vraiment la dimension systémique du phénomène, où en fait, à toute étape de la vie, et ça commence dès l'enfance et la jeunesse, et encore aujourd'hui, et c'est pour ça qu'il y a vraiment cette dimension d'écho entre passé et présent, en fait on a tout un problème de stéréotypes autour des femmes dans la tech, c'est vraiment quelque chose de culturel, il y a des exemples assez fous mais par exemple sur cette Barbie ingénieure qui ne savait pas coder et qui devait se tourner vers ses collègues masculins, donc en fait très tôt dans les années 90 il y avait aussi une Barbie qui disait qu'elle n'aimait pas les maths, enfin bref donc c'est une problématique, assez profonde qui commence très tôt et qui ensuite fait que les jeunes filles se détournent plus de ces disciplines parce qu'elles ont le sentiment qu'elles ne sont pas à leur place. Donc, elles se détendent des maths, elles ne vont pas là-dedans. Ensuite, pour quand même la petite proportion qui arrive à faire ce métier, il y en a beaucoup qui décrochent à peu près 50% des femmes qui quittent leur emploi avant l'âge de 35 ans dans le numérique. Donc, on voit qu'il y en a peu qui persistent et qui ensuite grimpent les échelons. Et après, il y a ces problématiques sur la postérité.
Monde Numérique:
[12:23] Vous expliquez ça comment ?
Marion Carré:
[12:24] Il y a en fait un marché de l'emploi qui n'est pas forcément adaptée pour elle. Il y a eu dernièrement pas mal de cas, mais notamment de sexisme avéré au sein des équipes où elles sont une minorité. C'est ça exactement. Il y a une culture qui est inadaptée, donc il y en a pas mal qui jettent l'éponge au bout d'un moment.
Monde Numérique:
[12:41] Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, notamment au niveau de la formation, les écoles, les écoles d'ingénieurs essayent d'attirer de plus en plus de femmes. C'est difficile. Les écoles d'ingé, c'est 10% de filles à tout casser. Alors moi, je vais vous raconter ma vie. Ma fille fait des études d'informatique et elles sont alliées avec d'autres jeunes femmes minoritaires. Effectivement, c'est un univers essentiellement masculin. Mais est-ce que, c'est l'histoire de l'œuf ou la poule, finalement, est-ce que c'est parce qu'elles ne se reconnaissent pas ou bien parce qu'on les empêche d'accéder à ça ?
Marion Carré:
[13:20] En fait, cette histoire d'œuf ou la poule, ça décrit bien le cercle vicieux que je décris aussi dans le livre. C'est-à-dire qu'en fait, moins il y a de femmes dans l'informatique, moins il y en aura. Puisqu'effectivement, elles sont minoritaires. Du coup, il y en a...
Monde Numérique:
[13:34] Et puis, elles n'ont pas envie d'aller dans une école d'ingénieurs où il n'y a que des mecs.
Marion Carré:
[13:37] C'est ça. ça auto-alimente le phénomène. Je pense qu'au cercle vicieux, on peut opposer un cercle vertueux en se disant on met en avant des parcours, on met en avant les femmes qui y sont, on favorise l'identification pour qu'un plus grand nombre se dise j'ai tout à fait ma place, je peux y aller, j'ai les compétences. Il y a beaucoup de niveaux sur lesquels travailler pour qu'on ait plus massivement, des filles et des femmes qui s'engagent dans cette voie-là.
Marion Carré:
[14:00] On peut se dire, au fond, quel est le sujet ? Il y a toujours eu plus d'hommes dans ce domaine. Quel est l'impact de tout ça ? Et en fait, le sujet, c'est qu'on est aujourd'hui, notamment sur l'intelligence artificielle, sur une technologie qui est immiscée au global dans notre société. Il y en a à peu près dans tous les secteurs. C'est un impact énorme. Et en fait, on ne peut pas se permettre d'avoir quelque chose d'aussi important à l'échelle de notre monde connecté, qui soit conçu à 80% par des hommes. C'est vraiment important qu'on ait aussi des femmes et des personnes d'horizons diversifiés pour s'assurer que ces technologies répondent aux besoins de tout le monde et pas juste des personnes qui en sont à l'origine.
Monde Numérique:
[14:37] Alors, c'est vrai qu'il y a eu des études, même montrant qu'il fallait aussi que les parents se montrent plus encourageants, parce que, après tout, les parents, même de bonne volonté, ils ont tendance à se dire, bon, de toute façon, toi, t'es un garçon, tu vas faire des sciences, et toi, t'es une femme, tu vas faire des études littéraires ou commerciales, etc. Mais, donc, certains vous répondront que... Il y a quand même des constantes. C'est vrai que les femmes vont souvent être plus attirées par les fonctions de communication, de marketing, etc. Et les mecs, les geeks, sont plutôt des garçons que des femmes, très souvent.
Marion Carré:
[15:15] Mais ça encore, c'est un phénomène culturel. Et ce qui montre bien, c'est qu'il n'y a pas de permanence dans le temps. On vient de le voir et dans l'espace, puisqu'il y a d'autres pays où il y a plus de femmes dans ces secteurs que d'hommes. Donc, ça montre bien qu'en fait, ce n'est pas une fatalité.
Monde Numérique:
[15:29] Donc il y a les femmes geeks, ça existe aussi ?
Marion Carré:
[15:30] Oui, et surtout il y a des pays, il me semble que c'est la Malaisie, où il y a plus de femmes, en tout cas on est à parité sur les femmes dans les STEM, qui est ce secteur sciences, techniques, ingénieurs et mathématiques. Donc ce n'est pas une fatalité.
Monde Numérique:
[15:44] Alors vous, vous avez co-créé, vous avez co-fondé votre entreprise, Ask Mona.
Monde Numérique:
[15:50] Vous êtes au cœur de cette problématique. Comment vous le vivez ? Vous avez l'impression que les choses changent, ou qu'il y a toujours un plafond de verre pour beaucoup de femmes ?
Marion Carré:
[16:00] Effectivement, j'observais que dans mon écosystème, il y avait assez peu de femmes. Et donc, j'étais vraiment au stade de l'observation empirique. Et ce livre m'a permis de prendre de la distance sur ce phénomène pour voir à une échelle plus large au niveau sociétal, mais aussi temporel, en creusant ce sujet sur le temps long. Donc, ça reste une vraie problématique aujourd'hui qui bouge petit à petit, mais trop lentement. Donc, mon sujet, c'était aussi de mettre la focale là-dessus en disant qu'il ne faut pas s'attendre à ce que le temps fasse son œuvre.
Marion Carré:
[16:30] Il faut vraiment œuvrer activement à faire en sorte qu'il y ait plus de femmes dans ce secteur.
Monde Numérique:
[16:35] Vous parliez des médias tout à l'heure et c'est vrai, ce sont plutôt des hommes qui sont invités dans les médias. Mais alors, moi, je vais vous rétorquer en tant que j'ai organisé, monté beaucoup d'émissions. Mais vous savez qu'on a beaucoup de mal à avoir des femmes et que même quand on a une vraie volonté de parité ou en tout cas de représentativité, C'est très difficile. Comment se fait-il que, je ne sais pas, même on s'adresse à une boîte parce qu'elle est dirigée par une femme, en espérant avoir la directrice, et hop, on vous envoie un mec à la place ? Pourquoi ?
Marion Carré:
[17:06] Ce n'est pas étonnant. Et moi, j'ai cette expérience aussi en tant qu'employeur. Chez Asmona, on recrute. Et c'est vrai qu'on a les plus grandes difficultés à avoir des profils féminins dans les équipes techniques parce que c'est très compliqué. Elles sont moins nombreuses, c'est compliqué de les recruter. Et j'avais déjà eu effectivement plusieurs fois ces échos. Donc je pense que là on touche effectivement du doigt cette espèce de problématique on va dire culturelle systémique sur ces enjeux là où il y a des femmes qui vont effectivement être plus à l'aise d'envoyer leur cofondateur, homme que d'y aller elle pour toutes ces questions de légitimité en se disant j'ai pas ma place.
Monde Numérique:
[17:44] Je connais pas assez c'est le syndrome de l'imposteur qui serait plus fort chez les femmes que chez beaucoup d'hommes en.
Marion Carré:
[17:50] Tout cas ce syndrome de l'imposteur il a été bien mis en avant sur le phénomène d'autocensure. Mais je trouve ça intéressant de se dire que ce n'est pas parce qu'il y a syndrome de l'imposteur et autocensure qu'il faut se dire que du coup, c'est la faute des femmes. Il faut vraiment essayer de creuser sur, on va dire, les racines de cette problématique qui sont un phénomène. Et je trouve ça intéressant d'explorer le temps de l'individu à l'échelle d'une vie, en se disant qu'en fait, à l'école, du coup, peut-être qu'elles ont moins été habituées à prendre la parole. Il y a vraiment toute une socialisation à la fois primaire, on parlait de la famille, mais aussi secondaire, l'école et ce qui se passe ensuite,
Marion Carré:
[18:22] qui explique cet état de faits que vous décrivez.
Monde Numérique:
[18:25] Les choses changent malgré tout, selon vous ou pas ?
Marion Carré:
[18:28] Oui, les choses changent et je pense qu'il faut rester optimiste. Mon point, c'est de dire qu'il faut aller plus vite et que, l'échelle du livre, en 70 ans, les choses s'améliorent petit à petit,
Marion Carré:
[18:39] notamment sur cette question de nombre de femmes dans les écoles ingénieures, mais trop lentement. Donc, il faut vraiment accélérer parce qu'on ne peut pas attendre 2080 pour avoir la parité de femmes dans la tech, surtout Surtout quand on a des technologies qui évoluent aussi vite et qui prennent une si grande place dans notre société.
Monde Numérique:
[18:55] Qu'est-ce que vous diriez aujourd'hui à une jeune fille qui ne sait pas trop dans quelle direction orienter ses études ?
Marion Carré:
[19:01] Je dirais qu'il faut garder une forme de curiosité et ne pas hésiter à expérimenter, en fait, pour se dire. Il y a souvent l'image qu'on a d'eux versus l'image qu'on a de soi. On peut se dire du coup, je ne suis pas à ma place, mais en fait, je pense qu'il faut y aller. Il faut se frotter au terrain, se dire si j'ai envie de ça. il n'y a pas de
Marion Carré:
[19:18] raison que le fait de me dire que je ne suis pas à ma place m'en détourne. Donc, je pense que c'est vraiment un enjeu de ne pas se fermer de porte, d'oser, d'expérimenter pour trouver sa juste place.
Monde Numérique:
[19:29] Merci beaucoup, Marion Carré, autrice de ce livre Qui a voulu effacer Alice Roquec sur les traces d'une pionnière oubliée de l'IA. C'est super, un voyage dans l'histoire de l'informatique sous un angle très particulier et qui, entre, on vient d'en parler, complètement en résonance avec la situation actuelle. Merci beaucoup.
Marion Carré:
[19:50] Merci.